Crise climatique : l’hydrogène est-il une solution d’avenir ?

Writer Laura Campan

Pour certains spécialistes, l’hydrogène pourrait bien devenir un vecteur d’énergie propre à grande échelle d’ici peu. Une aubaine pour les industriels qui souhaitent décarboner leurs activités et contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique… À moins que les contextes géopolitique et sanitaire actuels ne viennent déjouer les pronostics ?

Explications avec Ghislain Robert, directeur commercial France chez Lhyfe (producteur et fournisseur d’hydrogène vert et renouvelable pour l’industrie et la mobilité).

Face à l’urgence climatique, de nombreux industriels souhaitent décarboner leurs activités – notamment grâce à l’hydrogène. Comment expliquer un tel engouement ? 

Les industriels savent bien que tôt ou tard, ils n’auront pas d’autre choix que de décarboner leurs activités pour deux raisons majeures : 

  • Les consommateurs exigent de plus en plus que l’ensemble de la chaîne de valeur soit respectueuse de l’environnement, ce qui va forcer l’ensemble des écosystèmes, jusqu’aux industries les plus B2B, à préférer des solutions vertueuses. On commence déjà à observer une prime au plus vertueux. 
  • Mais surtout, très concrètement, la taxe carbone européenne finira par être mise en place, ce qui rendra les énergies fossiles très peu compétitives par rapport aux énergies renouvelables / bas carbone, et donc les industries carbonées très peu compétitives par rapport aux industries décarbonées. 

Il s’agit donc de la survie de leur activité. 

L’hydrogène est l’une des options à leur disposition pour décarboner leurs activités, il est particulièrement pertinent dans les secteurs de la métallurgie, de la chimie, du verre, etc. où l’on a besoin de monter très vite à de forts niveaux de température. 

Soit les acteurs utilisent déjà de l’hydrogène dit « gris » (fortement carboné), et ils n’ont « qu’à » le remplacer par de l’hydrogène vert et renouvelable, soit ils utilisent des énergies fossiles, telles que le gaz, le charbon…, et ils doivent alors changer leurs procédés industriels. 

L’hydrogène est souvent qualifié de gris, de jaune ou encore de vert – quelles en sont les spécificités ? 

Sous sa forme pure, l’hydrogène est un gaz invisible, inodore et non toxique, plus léger que l’air. Mais ce gaz ne se trouve pas naturellement sous cet état, la molécule H2 est toujours associée à une autre molécule. Il faut le produire en le dissociant de l’autre molécule : c’est cette façon de le produire qui permet de classifier l’hydrogène. 

Aujourd’hui, 95% de l’hydrogène est fabriqué à partir d’énergies fossiles ou hydrocarbures (pétrole, gaz naturel et charbon). Ce processus est très émissif de CO2 (pour 1 kg d’hydrogène produit, jusqu’à 11 kg de CO2 émis). Fabriquer de l’hydrogène avec des énergies fossiles ne fait que déplacer le problème. Or, en 2020, la consommation de cet hydrogène s’est élevée à plus de 90 millions de tonnes dans le monde (principalement pour l’industrie). C’est cet hydrogène que l’on appelle traditionnellement hydrogène « gris ». 

L‘alternative « verte » choisie par Lhyfe, et désormais recommandée par tous les gouvernements et experts, a recours à la technique bien connue de l’électrolyse de l’eau : elle consiste à faire passer un courant électrique dans l’eau pour décomposer la molécule d’eau H2O en Oxygène (O²) d’un côté, et en Hydrogène (H²) de l’autre. 

Selon la façon dont le site de production est alimenté, cette technique émet plus ou moins de CO2. 

  • L’électricité du réseau électrique 
  • L’électricité du réseau électrique avec des garanties d’origine : l’électricité provient de l’éolien, du solaire ou de l’hydraulique, mais sa production n’est pas forcément locale. 
  • Les énergies renouvelables, qui permettent de garantir la traçabilité et la provenance de ses électrons (soit en direct, soit via des PPA (power purchase agreements)). 

Aujourd’hui on tend plutôt à parler d’hydrogène renouvelable, bas carbone, et de RFNBO (carburants renouvelables d’origine non-biologique)… De notre côté, nous conservons pour l’instant les termes « vert » et « renouvelable ». 

Le secteur et la terminologie sont en pleine structuration mais les choses vont dans le bon sens ! 

En faisant exploser les cours du gaz naturel (et donc de l’hydrogène gris), le conflit en Ukraine aurait-il redonné du lustre à l’hydrogène vert, jusque-là trop cher à produire ? 

Pas uniquement. 

  • Tout d’abord, jusqu’à il y a peu, le coût de sa production et une utilisation très centrée sur l’industrie (notamment celle de la pétrochimie) limitaient l’intérêt du développement de l’hydrogène vert et renouvelable. Son usage s’étendant aujourd’hui aux transports, et le coût des énergies renouvelables baissant significativement, il est devenu à la fois nécessaire et possible de produire massivement de l’hydrogène propre.  D’autant qu’on l’a vu, les énergies fossiles vont devenir de plus en plus chères, notamment avec la mise en place de la taxe carbone. 
  • Ensuite, la crise sanitaire, la crise climatique, les rapports du GIEC et évidemment le conflit en Ukraine… ont convaincu les Etats de diminuer massivement leurs émissions de CO2. L’hydrogène, notamment, est de plus en plus plébiscité pour décarboner la mobilité, et notamment la mobilité lourde. L’Europe annonce ainsi un besoin de plus de 40 GW d’électrolyseurs d’ici 2030. 
  • Revenons à la baisse des coûts des énergies renouvelables : pour alimenter ces électrolyseurs, il faudra 150 GW d’électricité renouvelable. Or c’est en mer qu’elle est disponible de la façon la plus puissante et la moins intermittente, et son prix est en train de baisser drastiquement. A titre d’exemple, le champ éolien de St-Nazaire, qui vient d’être mis en service, affiche un prix de 150 euros le MWh. Celui de Dunkerque, attribué en 2021, qui sera mis en service en 2026, affiche déjà un prix de 44 euros le MWh. En Mer du Nord et en Mer Baltique, on devrait rapidement atteindre les 30 euros du MWh. Tout cela crée un contexte actuel particulièrement favorable à la production d’hydrogène renouvelable en mer. 
  • Tout cela offre des perspectives intéressantes à l’hydrogène vert et renouvelable, ce qui incite toute la chaîne de valeur à s’industrialiser, donc, là encore, à faire baisser les coûts. Car jusqu’ici, il s’agissait encore quasiment d’artisanat ! 

Lhyfe a récemment inauguré le premier dispositif de production d’hydrogène offshore au monde. Mais si le rendement de l’éolien offshore est bien meilleur que l’éolien terrestre, comment expliquer que personne ne se soit lancé dans l’aventure avant ? 

En effet, nous avons commencé à produire de l’hydrogène en mer avec Sealhyfe, et c’est une première mondiale ! 

Jusqu’à présent, personne ne s’était lancé dans l’aventure car : 

  1. Il était d’abord nécessaire d’amorcer le déploiement de la filière de l’hydrogène vert et renouvelable via la 1ère étape de la production à terre, 
  2. Les champs éoliens offshore étaient assez rares, 
  3. Personne n’avait jamais connecté un électrolyseur à une éolienne (nous l’avons fait pour la première fois au monde à terre, en 2021 sur notre site de production Lhyfe Pays de la Loire), 
  4. Le faire en mer est un incroyable challenge technologique ! 

Il faut réaliser toutes les étapes de la production de l’hydrogène, en mer, gérer l’impact du mouvement de la plateforme sur les équipements, faire face aux agressions environnementales et enfin fonctionner en milieu isolé… C’est ce à quoi nous nous attelons en ce moment avec Sealhyfe. 

Détails sur Sealhyfe : cette plateforme flottante, repensée pour stabiliser l’unité de production en mer (plateforme WAVEGEM, développée par GEPS Techno), qui fonctionnait à quai depuis septembre 2022, a été remorquée au large du Croisic en juin dernier, pour être raccordée au hub du site d’essais en mer SEM-REV de Centrale Nantes opéré par la fondation OPEN-C, sur lequel est déjà raccordé une éolienne flottante (FLOATGEN, développée et opérée par BW Ideol). 

La prochaine étape de notre développement sur l’offshore se déroulera en Belgique avec le projet HOPE, qui sera 10 fois plus important que celui-ci (jusqu’à 4 t / jour vs jusqu’à 400 kg / jour sur Sealhyfe). Le projet HOPE été retenu par la Commission Européenne dans le cadre du partenariat européen pour l’hydrogène propre “Clean Hydrogen Partnership” et bénéficie à ce titre d’une subvention de 20 millions d’euros.

Certains industriels hésitent à passer à l’hydrogène tant qu’un approvisionnement suffisant n’est pas assuré. Les exploitants de réseaux, quant à eux, estiment que les besoins en hydrogène ne sont pas suffisamment définis pour risquer d’investir – le paradoxe de l’œuf et la poule. Pensez-vous qu’on est en bonne voie de le résoudre ? 

Le marché est en train de se structurer, à l’image du backbone européen, et les exploitants de réseaux comme les industriels s’orientent vers des projets de transport ou de consommation d’hydrogène à échelle industrielle. 

En parallèle, et en attendant que les réseaux se mettent en place, Lhyfe propose des solutions d’hydrogène onsite (directement chez l’industriel) pour répondre aux besoins d’hydrogène en grande quantité. 

Pour les industriels qui n’ont pas besoin de solutions onsite, Lhyfe est déjà en train de mailler le territoire de sites de production (déjà 1 site en fonctionnement dans les Pays de la Loire, 2 autres entreront en service d’ici la fin de l’année en Bretagne et en Occitanie). Ces sites permettent de livrer les clients par conteneurs dans un rayon de 200 km environ.