Le métavers est souvent défini comme un univers parallèle dans lequel nous pourrons évoluer et interagir comme dans la vie réelle – mais qu’en est-il dans les faits ? Sommes-nous réellement sur le point d’entrer dans une nouvelle ère ?
Pour Nicolas Roussel, directeur du centre Inria de l’université de Bordeaux et spécialiste en interactions humaines / machines, le métavers n’a rien de nébuleux mais encourage, au contraire, la créativité et la sociabilisation. Il permet de créer de nouveaux univers et d’en redéfinir les contours à l’infini – et devrait donc, à ce titre, être conjugué au pluriel et non au singulier.
Toutefois, rien n’est inéluctable – on peut encore décider dans quel type de métavers on souhaite évoluer. “Il faut s’interroger sur ce qui motive les gens qui s’intéressent au sujet et sur ce qu’on nous propose dans le métavers” – avec d’un côté ceux qui y voient une formidable opportunité de favoriser les interactions sociales et ceux qui, sur un tout autre registre, y voient l’occasion de vendre leurs produits et leurs services, et générer toujours plus d’argent.
Reste à savoir si toutes ces belles ambitions ne seront nourries que par une élite ou si tout le monde aura accès aux métavers.
Une pluralité avec laquelle n’est pas d’accord Isabelle Dijan-Lignon, économiste spécialiste des questions de transition économique et numérique, et cofondatrice de VoxNation et Noésis innovation : “Il n’y a pas plusieurs métavers mais un seul.”
Cette révolution cognitive (que la plupart d’entre nous semble redouter, si l’on en croit un sondage de l’ifop qui chiffrait récemment le pourcentage de méfiants, pour ne pas dire réfractaires, à 75) interroge non seulement notre rapport à notre identité (qu’est-ce qu’incarne mon double numérique ?) mais aussi notre rapport à l’espace et au temps, ayant la possibilité de se téléporter en un seul clic au bout du monde.
Autant de questions qui nous interpellent sur la notion de territoires. “On voit bien qu’on se pose des questions extrêmement fortes, sur le plan existentiel mais aussi sur le plan géopolitique. Si jusqu’à présent, la puissance des Etats était intrinsèquement liée à leur population et à leur territoire, demain, toutes ces cartes seront rebattues puisque des petits Etats auront la possibilité d’avoir cette même puissance.”
Vient ensuite le tour de Pierre Cassou-Noguès, philosophe spécialisé dans l’usage de la fiction liée aux nouvelles technologies, qui fait une entrée remarquée avec son avatar en toile de fond. Si tous deux parlent d’une même voix, qui écoute-t-on vraiment ? Pierre ou son avatar ? Et c’est bien là tout le problème du métavers pour Pierre : “Est-ce que je peux me prendre pour mon avatar et lequel de nous deux va attirer l’attention ?”
Souvenez-vous, dans le roman de Stanislaw Lem, “Le Congrès de futurologie”, les personnages prennent des substances psychimiques “pour embellir la réalité et ne pas la voir telle qu’elle est” – transition toute trouvée pour Pierre qui se demande si le métavers “n’aurait pas la même fonction que les substances psychimiques du roman : autrement dit, s’il ne nous permet pas de regarder ailleurs quand la forêt brûle derrière nous ou de superposer un filtre à la réalité, pour transformer des des couchers de soleil voilés par la fumée en décors paradisiaques.”
A méditer.