S’il n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur, le métier de responsable des ressources humaines est pourtant essentiel au bon développement d’une entreprise. Comment définiriez-vous son évolution ces dernières années ?
La recherche de talents est une tâche très compliquée, je dirais même la plus délicate, puisque c’est d’elle que dépend la pérennité d’une entreprise.
Quant au métier de responsable des ressources humaines en lui-même, il a beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd’hui, tous se demandent comment aller au-delà du package “hauts salaires et infrastructures de qualité” pour attirer des gens talentueux et bien éduqués, dans un marché de l’emploi sous tension.
Donc si j’étais CEO, je chercherais à m’entourer des meilleurs spécialistes en ressources humaines. C’est là, tout le succès d’une entreprise.
Après la lame de fond du Big Quit et du Quiet Quitting, la carte des salaires élevés et des infrastructures de qualité ne suffit plus pour attirer les talents du monde entier. Pourtant, la menace d’une pénurie de talents est bien réelle… Comment le Luxembourg compte-t-il y répondre ?
C’est un changement de paradigme générationnel… Aujourd’hui, les jeunes ne se contentent plus d’un travail “alimentaire” mais souhaitent donner un sens à leur vie – professionnelle et personnelle. “Pourquoi je fais ce métier-là ? Qu’est-ce qui m’anime réellement ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire de ma vie ?”. C’est pourquoi les valeurs d’une entreprise, l’image qu’elle véhicule et les causes qu’elle défend jouent un rôle clé dans la recherche d’emploi, ce qui était loin d’être le cas avant.
Vient alors la fameuse question du “doit-on vivre pour travailler ou travailler pour vivre ?” – et personnellement, je choisis la deuxième sans hésiter.
La question de l’équilibre vie professionnelle / vie privée occupe une place de plus en plus importante dans le débat public. Évidemment, on ne pourra pas passer de 40h de travail par semaine à 20h mais on peut toujours trouver un juste milieu… Si on prend l’exemple du temps de travail en France, en Belgique et en Allemagne, le Luxembourg dépasse nettement ses voisins. La question de la réduction du temps de travail est donc tout à fait légitime. Mais pour ça, on ne peut pas se contenter de jouer la carte des salaires élevés.
Les questions d’égalité risquent de peser lourd dans la balance. Concrètement, comment le gouvernement compte-t-il soutenir les entreprises sur ces sujets ?
J’ai commencé ma carrière en tant qu’assistant social au centre médico-social de Differdange, qui est un métier généralement réservé aux femmes. Donc ce que les femmes vivent aujourd’hui, je l’ai moi-même vécu à certains égards, d’où ma grande sensibilité pour ce sujet.
La loi sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail adoptée en 2016 nous a permis d’atteindre un Gender Pay Gap de -0,2% en 2021 – une première en Europe.
Selon moi, la réduction du temps de travail aurait également un rôle à jouer dans l’égalité de traitement et la charge mentale des femmes… Alléger l’emploi du temps des hommes leur permettrait de passer plus de temps à la maison, en famille, et de s’occuper de tâches souvent imputées aux femmes…
Si le Luxembourg peut se féliciter d’être l’un des pays les plus exemplaires en matière d’égalité hommes-femmes, il reste encore du chemin à parcourir avant d’atteindre le juste équilibre… Et je peux vous assurer que les membres du gouvernement y travaillent sans relâche.
Vous avez toujours fermement défendu l’idée d’une réduction du temps de travail. Mais comment concilier patronat et syndicats sur une notion de flexibilité forcément différente ?
La même question s’est posée en Angleterre. Pendant six mois, 61 entreprises ont accepté de réduire leur temps de travail. Résultat : moins d’arrêts maladie, moins d’absentéisme, une nette amélioration du climat social et une augmentation de la productivité. Sur les 61 entreprises, 56 ont voulu prolonger l’expérience.
Et c’est grâce à ces expériences que l’on parviendra à répondre à la question. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, beaucoup de patrons se disent favorables à une réduction du temps de travail. Alors que la guerre des talents s’intensifie, beaucoup souhaitent ajouter cette corde à leur arc.
Depuis janvier 2023, la banque Raiffeisen propose à ses employés huit heures de “Quality Time” par mois. Pour l’instant, ils n’ont pas suffisamment de recul pour mesurer l’impact de cette nouvelle mesure mais les premiers retours sont excellents ! De quoi en inspirer plus d’un, j’espère.
Le 5 janvier 2022, vous succédiez au socialiste Dan Kersch à la tête du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire. Quel bilan dressez-vous de votre première année de mandat ?
J’ai eu la chance d’échanger avec des ministres de toute l’Europe – notamment au Portugal avec qui nous avons des liens très forts – de me nourrir de leur expérience et d’en vivre de nouvelles… Ça a été une année très intense, pas toujours facile [rires] mais si c’était à refaire, je le referais sans hésiter.
Il reste encore de nombreux efforts à déployer pour atteindre les objectifs que le ministère s’est fixé en matière d’emploi et de conditions de travail, et j’espère avoir la chance de pouvoir continuer l’expérience.
Si, en tant que ministre du travail, j’ai vite compris que le dialogue social était plus compliqué qu’il n’y paraît, il n’est pas rompu pour autant. L’espoir est encore permis.