L’impact sur les marchés
Que s’est-il réellement passé sur les marchés ? Un investisseur européen, affecté de près par les événements, peut avoir l’impression que la crise a fait trembler le marché. Il est vrai que les matières premières, blé, gaz, électricité, métaux, se sont envolées et le baril de pétrole a frôlé les 130 dollars contre à peine plus de 70 en début d’année.
L’impact sur les actions est en réalité mesuré. Au soir du 11 mars, le Stoxx 600 – représentant la majeure partie des capitalisations européennes – ne perdait que 4,3% depuis le 24 février matin. Aux Etats-Unis, le S&P 500 (en dollars) n’a pas reculé pas sur cette période ! Mais les actions émergentes ont perdu près de 10% (en dollars), affectées par les actions russes, mais aussi par les actions chinoises, qui font face à d’autres difficultés. Cependant, rares sont les investisseurs européens massivement investis sur ces marchés.
Sur le marché obligataire, les performances sont tout juste négatives sur la même période : entre -1 et -2% sur le crédit européen (en fonction de sa notation). Les obligations d’Etat sont quasiment inchangées, après une substantielle appréciation les premiers jours de la crise.
La victime la plus évidente est l’euro, qui perd près de 3% par rapport au dollar. Pour un investisseur diversifié, c’est plutôt une bonne nouvelle, car ses actifs en dollars s’apprécient d’autant. Et les actions européennes bénéficient en général d’un euro faible.
Si les marchés actions, crédit ou d’obligations d’Etat sont nettement négatifs depuis le début de l’année, la majeure partie de ces pertes a été enregistrée avant cette crise. L’inflation était déjà présente. Les banques centrales indiquaient un prochain resserrement monétaire. Les actions à forte valorisation étaient déjà sous pression en raison des politiques monétaires.
En synthèse, la crise ukrainienne n’a pas eu jusqu’ici de fort impact sur la plupart des marchés mondiaux. Les banques centrales en ont fait bien davantage.
Quelles perspectives ?
Le chemin que prendront les marchés ces prochains jours sera a priori dicté par deux principaux facteurs – bien que d’autres, inattendus, puissent surgir à tout moment : le développement du conflit ukrainien et les banques centrales.
Sur le premier, il serait présomptueux de prédire avec détermination un quelconque déroulement. S’il est possible que l’armée russe gagne encore du terrain, une victoire russe totale et rapide, comme V. Poutine l’envisageait au début du conflit, semble peu réaliste. L’enlisement, accompagné d’une instabilité chronique, sans être très menaçante à l’échelle mondiale, l’est selon nous davantage.
D’autres scénarios mais a priori moins probables sont envisageables, comme une victoire russe rapide, ou au contraire un recul. Dans le premier cas, sa supériorité pourrait nourrir de nouvelles ambitions russes et générer de nouvelles ripostes économiques voire militaires par l’Occident. Dans le second cas, les opérations russes pourraient gagner en violence, pour ne pas sembler perdant. Tout dépendrait alors de l’attitudes des autres géants de la planète. Ces deux scénarios nous semblent les moins probables à court terme aujourd’hui.
Dans le cas qui nous semble plus probable – déjà partiellement à l’œuvre – d’une forme d’enlisement, les principaux déterminants du marché vont redevenir les fondamentaux macroéconomiques, en particulier l’inflation et la croissance, et la réaction des banques centrales à ces facteurs.
Or ces deux aspects dépendront en partie d’une variable clé : la durée du conflit. Plus il durera, plus l’ensemble des matières premières devrait rester à un niveau élevé, ce qui soutiendrait l’inflation et réduirait mécaniquement la croissance. Les banques centrales sont donc en partie dépendantes de la durée du conflit. La BCE vient d’intégrer la guerre dans ses prévisions, en augmentant ses anticipations d’inflation1 et dégradant ses attentes de croissance2. La Fed fera de même à l’issue de sa réunion du 16 mars. Nul doute qu’elle ira dans le même sens.
En raison de cette inflation élevée, les deux banques ont prévu d’emprunter, à des rythmes différents, la voie d’un resserrement monétaire graduel. Ce qui impose de la prudence sur les actions, notamment les actions à forte valorisation ; et une totale prudence à l’égard des obligations d’Etat, notamment américaines, qui perdent leur principal acheteur de ces dernières années – la Fed. Le déficit de croissance n’empêchera pas forcément les taux de monter.
Dans le détail, la situation pourrait être différente entre les Etats-Unis et l’Europe. Si l’inflation européenne est surtout due aux matières premières et à certains matériaux industriels, l’inflation américaine est due, en outre, à la force de la demande et au prix du logement. La réaction au premier type d’inflation n’impose pas un resserrement drastique, car une banque centrale ne peut rien contre le prix des matières premières. La réaction au second type d’inflation, en revanche, est à la portée d’une banque centrale, qui peut freiner l’inflation en ralentissant la formation de crédit. La Fed devrait s’y engager. Dans ce cas, les titres à valorisation élevée pourraient être davantage affectés que les titres décotés, prolongeant la tendance à l’œuvre depuis plusieurs mois.
Au niveau des résultats d’entreprises, une discrimination a déjà été faite entre les entreprises et les secteurs réalisant directement une large part de leur chiffre d’affaires en Russie ou en Ukraine : les banques ou le secteur automobile européen ont davantage souffert que le marché. En revanche, la hausse des matières premières et la hausse des coûts induite est encore complexe à mesurer. Dans un contexte inflationniste persistant, il faut être discriminant et s’intéresser aux sociétés à même de préserver leur marge et donc de répercuter l’inflation en aval sur leur prix de vente.
Dans tous les cas, la prudence s’impose, mais n’implique pas selon nous de rester totalement en dehors des marchés, sauf en cas d’escalade (a priori improbable) du conflit. Dans un scénario médian en effet, l’inflation grignote la valeur de tout actif non risqué. Il est donc raisonnable de s’en remettre à moyen terme au marché actions, malgré sa volatilité. En particulier à la gestion active, attentive à la valorisation des titres. Après tout, les actions sont ressorties par le haut de toutes les crises. Seule la trajectoire empruntée n’est pas prévisible.
Les opinions émises dans le document correspondent aux anticipations de marché LFDE au moment de la publication. Elles sont susceptibles d’évoluer en fonction des conditions de marché et ne sauraient en aucun cas engager la responsabilité de LFDE.Investir sur les marchés financiers comporte des risques et notamment un risque de perte en capital.