Lourdeurs administratives, difficultés de financement… Si l’entrepreneuriat a longtemps eu des allures de parcours du combattant, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt – notamment auprès d’une jeunesse en quête de sens et de liberté. Comment vous l’expliquez ?
Clément : « L’entrepreneuriat est devenu un phénomène branché, que ce soit en solo ou à plusieurs. Cela s’explique par plusieurs facteurs comme la création d’incubateurs et l’amélioration des cursus en entrepreneuriat, une meilleure mise en avant des success stories, la facilité d’accès à des formations et contenus gratuits en ligne et la disparition des barrières technologiques.
De plus, les entrepreneurs sont devenus des personnalités inspirantes, visibles et capables de créer des communautés. Cela donne envie aux jeunes entrepreneurs de se lancer. Attention quand même aux faux espoirs car 90% des startups échouent ! »
Romain : « Tout à fait d’accord avec Clément, et sur ce dernier point j’ajouterai qu’il est important de faire la distinction entre « entrepreneur » et « freelance ». La capacité à trouver des clients est souvent surévaluée et la réalité de la flexibilité au quotidien est souvent idéalisée. Les réseaux sociaux ne sont pas toujours fiables en matière d’informations sur l’entrepreneuriat. Il est important de garder à l’esprit que le succès peut prendre beaucoup de temps. Réussir une entreprise nécessite souvent de nombreuses années, agrémentées de turbulences. On note également que le salariat traditionnel est de plus en plus considéré comme une source de frustration, mais attention à rester objectif sur ce qu’on recherche en passant ce cap… »
Si le Luxembourg est souvent considéré comme un terreau fertile pour les start-ups, certains points méritent réflexion… Comment diversifier les talents et renforcer l’esprit entrepreneurial du pays ?
Romain : « Le Luxembourg a déjà développé des initiatives pertinentes pour encourager l’entrepreneuriat, telles que la Jonk Entrepreneuren et la House of Entrepreneurship.
Côté idée créative, la mise en place d’une rupture conventionnelle pour les porteurs de projets par exemple ou d’une aide au réemploi pour les personnes qui ont échoué dans leur projet entrepreneurial pourrait encourager la création d’entreprises. »
Clément : « C’est vrai que les initiatives se multiplient au Luxembourg, avec la House of Startups, le programme Fit 4 Start, le Technoport, etc. Ces projets favorisent grandement l’essor des startups.
En revanche, il existe peu de passerelles entre le monde de la finance traditionnelle et les startups. Souvent parce que les compétences demandées ne sont pas exactement les mêmes. Il faudrait davantage mettre en avant les compétences transverses et miser sur des programmes de formation pour accompagner certains profils vers de nouveaux métiers. »
L’éducation n’aurait-elle pas un rôle à jouer, justement ?
Romain : « Beaucoup d’initiatives sont mises en place par le Ministère de l’Education nationale et les ASBL périphériques mais les premiers projets entrepreneuriaux se développent souvent pendant les études supérieures. Je crois qu’il est important de nouer des partenariats avec des écoles de commerce pour implanter des campus avec des options « Entrepreneuriat » au Luxembourg, comme l’ESSCA en finance. Ça risque de prendre du temps mais notre spécificité en matière de business cross-border devrait être davantage mise en avant pour attirer des écoles et des talents étrangers. »
Clément : « L’éducation a un rôle important à jouer pour aligner les besoins actuels et futurs des startups avec les formations proposées.
Le problème à Luxembourg, c’est que les métiers de la finance sont en général plus rémunérateurs que les métiers en forte tension dans les startups comme l’IT (développement, infrastructure), le marketing, la communication, le produit et le commercial. Cela n’encourage pas les talents à rejoindre l’environnement startup.
Enfin, comme mentionné par Romain, le Luxembourg a un potentiel unique pour les startups car nous avons un marché domestique idéal pour tester et développer un projet, avant de pouvoir le lancer sur des marchés adjacents. Cela devrait être un atout majeur pour attirer des talents à Luxembourg. »
Pour vous, quel est le profil du bon entrepreneur ?
Clément : « Un bon entrepreneur est perçu comme quelqu’un qui réussit, souvent financièrement. Or, c’est plutôt une conséquence, et non la cause. Au fond, un bon entrepreneur, c’est surtout quelqu’un qui ne craint pas d’échouer et qui est résilient. L’important, c’est d’échouer rapidement, d’apprendre et de rebondir. Avoir une vision et rester dans l’action me semble également des éléments cruciaux.
J’aime aussi dire que dans les débuts d’une startup, le CEO doit être le meilleur commercial de la société. Avoir le meilleur produit sans savoir le distribuer et le commercialiser n’apporte rien, ni aux clients, ni à la société. »
Romain : « Pour moi c’est quelqu’un pour qui entreprendre est le plan A ! Ce n’est pas un choix par défaut. J’estime qu’il faut être passionné et chercher à apprendre de nouvelles choses utiles pour son entreprise, que ce soit par des podcasts, des rencontres, des événements, des livres ou des discussions. Il est également important d’avoir une certaine culture financière de base. Je pense qu’il faut aimer le contact humain, malgré tout ce qui est possible grâce au marketing digital. Enfin, il est crucial de se connaître soi-même pour mieux gérer les hauts et les bas émotionnels de l’entrepreneuriat. »
La question du financement est souvent délicate, voire bloquante pour certains… Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur qui souhaite lever des fonds pour financer son projet ? Vers qui doit-il se tourner ?
Romain : « Avant la question du financement, il est important de souligner que nous n’avons pas besoin de l’argent que nous ne dépensons pas ! J’ai commis cette erreur en finançant Talantlers avec plus d’argent qu’il n’en fallait, et ça nous a exposé au démarrage à des risques inutiles que l’on aurait pu éviter en faisant du bootstrap.
Pour le financement de ma société, j’ai eu recours à de la dette privée, en émettant des bons de souscriptions à des personnes physiques de mon entourage. Dans un contexte B2C, j’aurais probablement exploré le crowdfunding car ça permet de créer une communauté d’ambassadeurs, en plus de lever des fonds.
Concernant les autres mesures de financement possibles, n’étant pas expert, je me dirigerais vers la House of Entrepreneurship, qui me semble être une bonne ressource pour renseigner et accompagner les entrepreneurs sur ces sujets. »
Clément : « Le financement dépend de plusieurs variables, à mon sens : la nature et la maturité du projet, l’industrie et le profil de l’entrepreneur.
De façon générale, il n’a jamais été aussi facile d’entreprendre sans avoir besoin de lever des fonds, en tous cas dans le domaine des services. Hormis des projets industriels ou très technologiques, la majorité des projets nécessite de faibles besoins en capitaux, notamment lors de la phase de test.
J’apprécie la méthode du Lean Startup qui consiste à identifier un problème et à valider rapidement son idée en la confrontant au marché, pour ensuite itérer et améliorer son service.
Lorsque que les hypothèses sont validées, et que le produit ou service a trouvé son marché (le Product Market Fit), il existe en théorie deux options : rentrer dans phase de croissance forte qui nécessite de lever des fonds pour financer sa croissance ou viser un développement rentable et sans apport externe (auto-financé). »
Comme chacun sait, l’aventure entrepreneuriale est loin d’être un long fleuve tranquille… Comment gérer l’adversité et les moments de solitude ?
Romain : « J’ai récemment lu un article de la DG de Cocottes qui conseille de ne pas tomber amoureux de son produit et de rester pragmatique. En plus d’être « poétique », la formule est simple et efficace car il est en effet important de rester objectif sur son projet afin d’avoir le recul nécessaire pour prendre les meilleures décisions.
Je crois aussi qu’il est important de se faire accompagner en supervision, ce que je fais depuis 5 ans et qui m’a permis de prendre les décisions les plus structurantes de mon activité de coach et de mieux gérer les émotions liées à l’entrepreneuriat.
En revanche, je ne crois pas qu’il soit bon de cloisonner les différents projets entrepreneuriaux, personnels et familiaux. Ils sont tous liés et ne doivent pas être séparés. Chez moi, nous sommes quatre CEO : ma femme, mes deux enfants et moi. »
Clément : « Pour ma part, j’aime bien considérer l’entrepreneuriat comme un sport solitaire qui se joue à plusieurs (associés, clients, collaborateurs, etc.). En tant qu’entrepreneur, vous êtes souvent seuls lorsque vous devez prendre des décisions et vous devez assumer les responsabilités de vos décisions. Il faut être prêt à vivre avec. Pour surmonter cette solitude, je rejoins Romain sur l’importance d’être bien accompagné et soutenu, par ses proches et idéalement par un professionnel, un coach carrière par exemple. Il existe également des communautés d’entrepreneurs qui permettent d’échanger avec des pairs et de partager des expériences communes. »