Alors que le pays manque cruellement de médecins et de personnel soignant, Stéphane Pallage – ancien recteur de l’Université du Luxembourg – avait annoncé, en octobre dernier, le lancement de nouveaux programmes de médecine en 2023 et 2024. S’agit-il d’un effort suffisant, selon vous, pour enrayer la pénurie ou doit-on explorer de nouvelles pistes ?
C’est un effort important mais pas suffisant malheureusement.
Après les trois premières années de licence au Luxembourg, les étudiants sont obligés de partir en France ou en Belgique pour poursuivre leurs études… Et si cette relation de dépendance vis-à-vis de l’étranger n’a rien de dramatique pour l’instant, elle pourrait bien le devenir dans les 10 à 15 prochaines années avec le départ à la retraite de plus de la moitié du personnel médical. Il faut absolument revoir notre offre universitaire, notamment au niveau des spécialisations.
Vient ensuite la question de l’attractivité de notre système de santé. Beaucoup d’étudiants partis poursuivre leurs études à l’étranger justifient leur choix de s’y installer pour des raisons personnelles mais aussi professionnelles, notamment pour l’accès à une “médecine de pointe” – et c’est là-dessus que le Luxembourg doit mettre l’accent, à mon sens : développer la médecine universitaire et de recherche.
Autre volet qu’il ne faut pas sous-estimer : le coût de la vie, qui reste très élevé au Luxembourg. Pour un jeune diplômé en médecine d’une trentaine d’années, revenir s’installer au Luxembourg avec tous les frais que ça implique n’est pas si simple… Et le gouvernement a évidemment une carte à jouer là-dedans, les médecines universitaire et hospitalière ne pourront jamais déployer, à elles seules, les efforts nécessaires pour gagner en attractivité.
Pensez-vous que les étudiants en médecine aujourd’hui soient suffisamment sensibilisés à l’utilisation – et au potentiel – des nouvelles technologies ? Ou y a-t-il encore une certaine défiance du corps enseignant ?
Il y a très peu de conférences et d’ateliers sur la digitalisation en médecine malheureusement… Les étudiants y sont plutôt confrontés en milieu hospitalier, dans le cadre de leur internat notamment.
Un manque de ressources et de matériels que l’Université tente de combler avec l’acquisition de nouveaux outils permettant de faciliter l’enseignement médical par simulation et avec une précision chirurgicale (sans mauvais jeu de mots), comme la fameuse table de dissection virtuelle par exemple.
Des efforts sont à noter, donc, sur l’évolution de l’enseignement et des formations, mais c’est encore largement insuffisant. Les étudiants ne sont pas suffisamment sensibilisés au potentiel de la technologie en matière de diagnostic et de traitement des patients. Ils en prennent réellement conscience sur le terrain.
Mais la digitalisation aujourd’hui dépasse largement le cadre hospitalier. Plus besoin de se déplacer systématiquement à l’hôpital, les patients ont recours à la télémédecine pour transmettre leurs données médicales à leur médecin de famille ou à la structure qui les suit, qui va pouvoir les analyser à distance et en temps réel – le plus souvent grâce à une intelligence artificielle dans un premier temps, qui va même pouvoir, dans certains cas, donner des solutions thérapeutiques aux équipes.
Une avancée formidable pour les patients, à laquelle les étudiants sont, pour la plupart, confrontés sur le terrain et à laquelle il va falloir très vite s’adapter.
Mais appréhender la complexité de la medtech dépasse largement le cadre universitaire et devrait se poursuivre tout au long de la carrière. Or, la plupart des professionnels de santé se disent mal ou peu informés. Mais comment revoir notre offre de formations ? Outre l’Université, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doit-il se saisir du dossier ?
C’est d’autant plus vrai et d’autant plus complexe que la carte du digital se joue à tous les niveaux : pas seulement sur les bancs de l’université, mais aussi en milieu hospitalier pour poser un diagnostic, analyser des bases de données, explorer de nouvelles pistes de traitement, etc.
Mais si la formation continue des médecins et du personnel soignant est d’une importance capitale – précisément parce que la medtech dépasse le cadre universitaire et nécessite une mise à jour constante – elle reste très compliquée dans les faits…
Premièrement, par manque de ressources : il y a encore (trop) peu de conférences ou de formations sur le sujet… Malheureusement, le volet digital n’est pas encore une priorité.
Deuxièmement, par manque d’obligation légale : au Luxembourg, il n’y aucune obligation de formation médicale continue (FMC). Dans de nombreux pays, le système médical repose sur un principe de “Credit Points”. Si vous ne parvenez pas à en cumuler un certain nombre dans l’année, l’ordre des médecins risque de vous envoyer un premier avertissement ou de vous retirer votre droit d’exercer pendant 6 ou 12 mois. Étonnement, le Luxembourg est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas organiser formellement de FMC. Or, il existe un règlement européen sur lequel il devrait s’aligner… Mais pour ça, il faut que le gouvernement y consacre du temps, de l’énergie et des moyens – dont ne dispose pas le Collège Médical à lui seul malheureusement.
Selon vous, quelles nouvelles compétences seront amenées à se développer dans les prochaines années ? Ne risque-t-on pas de sacrifier le contact humain sur l’autel de l’intelligence artificielle et de la robotique ?
Je ne pense pas, au contraire. Face à la digitalisation accrue du secteur, les patients recherchent de plus en plus le contact humain.
Nous avons récemment mené une enquête auprès de divers partenaires et patients pour analyser leurs attentes vis-à-vis de l’hôpital. Et ce qui est tout de suite ressorti, c’est le contact humain, l’empathie des médecins et du personnel soignant. Ce qui montre bien le juste équilibre à trouver entre la medtech – qui nous permet de réaliser de véritables prouesses – et le côté humain qu’on donne à nos métiers… Et sur ce dernier point, aucune machine ne pourra jamais remplacer un médecin ou un membre du personnel soignant. Les nouvelles machines et les avancées techniques sont juste là pour nous faciliter la vie et améliorer le diagnostic et le traitement des patients.