12.09.2022 Human Resources Talents Trends

Regards croisés : une bulle pour chaque Manager ?

Valentine Kunnas Talantlers

Dans cette série « regards croisés », Valentine Kunnas, HR Advisor au sein de Talantlers mène une série d’entretiens avec les membres de la communauté d’experts qui gravitent autour du cabinet, sur des questions d’actualité et de fond. En parallèle, Romain Tisné, Associé du cabinet partage les constats de son équipe sur ces sujets.

Aujourd’hui, Valentine reçoit Maeva Olivieri, Coach – Thérapeute qui l’accompagne en supervision et travaille avec ses clients en coaching collectif.

Romain, pourquoi avez-vous souhaité partager ce moment avec Maeva ?

RT : Lorsqu’en 2017 je décide de me former au coaching d’organisation, la Direction du programme HEC m’a demandé de suivre une thérapie pour faire un travail sur moi et mettre mes futurs clients en sécurité. Sans trop savoir ce que j’allais y découvrir j’ai été mis en contact avec Maeva qui a fait ce chemin avec moi, chemin qui a certainement été un des parcours les plus passionnants de ma carrière. Une fois ma certification obtenue, nous avons décidé de travailler ensemble en supervision puis, par la force des choses, comme partenaires sur des accompagnements avec une dimension « care » importante. Je pense pouvoir sereinement dire que sans Maeva je ne serais pas le même professionnel.

Maeva, le monde change beaucoup et vous rencontrez de nombreux clients dans le cadre de votre activité de Thérapeute  / coach – quels constats faites-vous sur les derniers mois ?

MO : Quand j’observe l’évolution entre début 2020 et maintenant, et donc sur un laps de temps relativement court, je dirais que la valeur Travail s’est davantage ancrée mais en prenant une nouvelle dimension. Pour les employés comme pour les chefs d’entreprise, le travail est un véritable pilier dans l’équilibre global de leur vie. Ils ont eu peur de le perdre (pour ceux qui ont eu la chance de passer au travers de cette crise). Le travail apporte une sécurité financière et matérielle mais pas que… c’est aussi un lien social, un moyen de stimuler l’intellect, de se sentir utile… un garde-fou.

Le télétravail s’est imposé. C’est assez controversé… c’est parfois très bien accueilli, d’autre fois subi. Il y a toujours du bon à tirer, espérons que le télétravail reste une alternative possible. Ce que je relève toutefois, c’est une réelle recherche de sens. Il y a un repositionnement dans les attentes professionnelles, désormais le sens l’emporte sur la notion de grade. Moins de sacrifices pour plus que de satisfactions. Ainsi, on cherche moins à « faire carrière » et plus à s’épanouir en se sentant valorisé, responsabilisé et en se développant personnellement. Cette tendance s’observe depuis un moment mais la crise Covid a actionné l’effet comme un accélérateur.

En pratique, ça se traduit par de nombreuses demandes d’accompagnements professionnels  :

Au sein du Cabinet, les demandes vont beaucoup dans le sens de reconversions professionnelles ou de pré burn-out (la prévention relative aux symptômes du burn-out a d’ailleurs permis aux gens de l’identifier, de le « voir arriver »).

Il y a aussi des demandes plus existentielles : « J’ai 40 ou 50 ans, comment dois-je aborder les prochaines années avec enthousiasme ? Nouveau cycle, nouveaux objectifs, oui mais lesquels ? J’ai peur de l’ennui, comment redonner du sens à ma vie ? »

Les hommes revoient leur place au sein de la famille et recherchent des solutions, les femmes, elles, alimentent d’abord leur réflexion intérieurement. L’enjeu des entreprises et notamment des managers de proximité sera de savoir (re) motiver les employés en donnant de l’importance à leur système de valeurs. Le sentiment d’appartenance doit être renforcé.

RT : J’ajouterais que le constat est le même dans les organisations. Les questions posées auparavant comme des dilemmes – faire carrière OU se concentrer sur sa famille, progresser dans la hiérarchie OU changer de métier dans l’organisation – ont tendance à être remplacés par des solutions hybrides qui voient le ET émerger comme la seule issue possible pour continuer d’avancer en sécurité. Et c’est dans ce travail d’émergence que notre collaboration est précieuse tant ce processus nécessite de l’alliance pour imaginer de nouveaux modèles, et un cadre de sécurité bien tenu par une personne dédiée… c’est clairement le rôle de prédilection de Maeva.

On parle beaucoup de risques psycho-sociaux ou de problématiques de harcèlement – comment appréhendez-vous des situations de ce type lorsque vous les rencontrez en environnement professionnel ?

MO : Il s’agit de problématiques (trop) fréquentes et très insidieuses. Le harcèlement est parfois difficile à identifier. Poser le mot est déjà un grand pas. Dans chaque situation de harcèlement, il y a souffrance et perversion. Les liens toxiques font souvent l’objet d’esprit de « clans » à travers lesquels vont s’engager plusieurs jeux narcissiques et stratégiques. Dans un premier temps, il faut sécuriser les champs d’action et s’entourer de bons professionnels. Les enjeux sont importants puisqu’ils sont avant tout, humains mais pas que.. financiers et juridiques aussi.

J’explique volontiers que la hiérarchie a sa part de responsabilité et doit faire preuve de prudence, de bienveillance et d’engagement. Je les invite à mettre en place un dispositif « béton » de protection dans lequel chaque membre du clan pourra s’exprimer librement.

Dans ma posture professionnelle, c’est dans un rôle de médiateur que je suis amenée à intervenir mais surtout, dans un rôle de « contenant ». Pouvoir accueillir les douleurs associées au harcèlement et aider au maintien d’un équilibre global.

Un endroit un peu « bulle » dans lequel on ne risque rien. Mais avant toute chose, le cadre auprès de la Direction doit être posé, vite et bien. Cela me semble primordial : Qui fait quoi ?

Vous travaillez beaucoup avec des entreprises dans le cadre de cellules d’écoute, que pensez-vous de la tendance naissante de supervision des managers de proximité ?

MO : Intéressant. En effet, les cellules d’écoute portent parfaitement leur nom. Elles sont là pour écouter, aider, soutenir chaque professionnel en souffrance ou en questionnement. Heureusement qu’elles existent ! Mais parallèlement ou mieux, en prévention, je dirais que l’investissement dans la mise en place de supervisions personnalisées des managers serait un moyen de réduire la fréquentation de ces cellules d’écoute.

Les Managers de proximité ont très souvent un rôle difficile… ce sont les intermédiaires, les moteurs, parfois les leaderships tout en étant eux-mêmes fort challengés, voire secoués plus haut. C’est une position enrichissante mais borderline. Ils ont besoin d’être outillés.

On ne devient pas manager de proximité par hasard. On vous dira qu’une opportunité s’est présentée, d’autres fois qu’il s’agissait d’une vraie ambition… dans tous les cas, c’est une position qui « marque », qui fatigue aussi et qui relève d’une vraie mission (et pas des moindre) : celle de transmettre le meilleur à son équipe.

Pour répondre à la question plus directement, j’encourage activement la supervision des managers et ce, auprès de professionnels externes et passionnés qui offrent un cadre privatisé, confidentiel et totalement neutre puisque pas « mandatés » sous conditions orientées.

Au-delà des formations soft skills type « gestion du stress » certes très utiles, il s’agirait d’aller plus loin. Chaque manager sera invité à parler de ses enjeux professionnels mais aussi à déposer sa veste pour entreprendre un vrai voyage introspectif. Qui êtes-vous sous et sans votre veste ? Quelles sont vos limites, vos peurs mais aussi vos ressources ?

Quel message voulez-vous véhiculer et dans une sphère plus haute, quelle trace souhaitez-vous laisser en tant qu’homme, professionnel, mari, père de famille ?

Ce temps « d’observation de soi » est primordial pour contenir les dérives et les excès. Se développer personnellement, apprendre à se connaître et être aligné avec sa posture personnelle et professionnelle.

Continuer à vouloir dissocier le privé du professionnel est une erreur. C’est comme vouloir séparer l’esprit, du corps… ça finit par flancher. Il faut intégrer la personnalité et l’histoire personnelle dans l’accompagnement de chaque employé et leur offrir une vraie attention.

RT :  Je suis tout à fait en ligne avec Maeva sur ce point. C’est un de nos nombreux points d’accord. J’aime l’idée que l’entreprise mette en place des mécanismes de remédiation comme les cellules d’écoute… mais qu’ensemble nous cherchions des moyens préventifs pour en éviter sainement la fréquentation d’une telle solution… Aujourd’hui, je suis chef d’entreprise, manager de proximité de mon équipe, manager par interim, coordinateur de projets, coach etc., sans une bulle sécurisée et à moi dans laquelle je peux amener et poser 100% de ma réalité présente (ou passée), je ne pense pas pouvoir sereinement assurer ces rôles. À une époque où nous consommons de la gymnastique ou de la nutrition avec des abonnements mensuels sur Iphone, pourquoi ne pas utiliser la même logique avec un superviseur … ? Certainement une piste intéressante à explorer avec les managers volontaires eux-mêmes.

Merci à tous les deux pour cet échange. Pour échanger avec Maeva ou un de nos accompagnants sur ces sujets, n’hésitez pas à nous contacter via myhrmanager@talantlers.com

Source: Talantlers