1. Le Request-to-Pay (RTP) est souvent défini comme un système de messagerie sécurisé, qui va déboucher sur un virement ou autre moyen de paiement. Pouvez-vous nous en dire plus sur les avantages de cette nouvelle modalité de fonctionnement ?
Le Request-to-Pay (RTP) constitue en effet une solution de messagerie qui vient enrichir la galaxie des moyens de paiement SEPA. Cette innovation fonctionne comme un hub autour duquel gravitent plusieurs acteurs dont un payeur et un payé.
Avec le RTP, la « demande de paiement » s’accompagne automatiquement des données nécessaires à la réconciliation. Un créancier (par exemple un commerçant) va émettre une demande de paiement avec toutes les données en relation avec la transaction commerciale effectuée (facture, détail du produit…), mais également avec toutes celles nécessaires au paiement (IBAN, délai de paiement…) vers le débiteur (le client). Lorsqu’il la reçoit, toutes les données sont pré-remplies et le débiteur n’a plus qu’à donner son accord ou non au paiement. Ce dernier s’effectuera systématiquement par virement, instantané ou non. Le RTP a donc le potentiel de modifier profondément les transactions financières actuellement réalisées par TIP, virement ou prélèvement, mais pas uniquement.
L’un des principaux avantages du RTP est sans conteste la digitalisation de bout en bout qui découle de son utilisation et qui fait particulièrement sens dans des cas d’usage encore couverts par des moyens de paiement qualifiés de “traditionnels”, comme le chèque et les espèces. On peut ainsi imaginer que grâce au RTP, un acteur d’une profession libérale, comme un médecin ou un avocat, pourra encaisser sa prestation via un parcours totalement digitalisé plutôt que par chèque par exemple.
Autre avantage découlant du RTP, cette fois plus spécifique au monde des entreprises : le gain d’efficacité. Concrètement, en digitalisant la relation entre un paiement et une facture, le RTP permettrait, à terme, de diminuer le risque d’erreur grâce au pré-référencement, et de réduire les délais de paiement, souvent pointés comme problématiques dans certains pays européens comme la France. A terme, cela pourrait constituer un gage de plus grande efficacité pour les entreprises qui sont encore, pour la plupart, caractérisées par une certaine marge de progression en termes de digitalisation.
Enfin, un autre avantage à citer au sujet du RTP, cette fois sur le segment des particuliers : le renforcement de la créativité dans le secteur des paiements, avec l’émergence d’alternatives. Une illustration précise : le couplage RTP / facilité de paiement, qui permettrait par exemple à un particulier de régler tout ou partie de sa facture selon l’incentive proposé par son prestataire. Cela me conduit à analyser que le RTP pourrait constituer, à terme, un réel saut qualitatif dans le secteur des paiements.
2. Quel est le positionnement du Conseil européen des paiements (EPC) sur la question ?
L’European Payments Council (EPC), qui est une instance européenne qui œuvre sur les sujets opérationnels du secteur des paiements – et qui est, par exemple, à l’origine du scheme SCT Inst (SEPA Crédit Transfer Inst, ndlr.) relatif à l’instant payment – travaille depuis plusieurs années sur le sujet du RTP dans la continuité des travaux d’harmonisation des paiements menés à l’échelle européenne par l’Euro Retail Payments Board (ERPB).
L’EPC a souhaité aborder le RTP en s’appuyant sur les standards existants, à savoir les messages ISO 20022, en sachant que des évolutions ont été nécessaires pour transmettre les pièces jointes (factures) et s’adapter aux besoins des acteurs concernés. D’un point de vue opérationnel, la démarche de l’EPC est très collaborative. Ainsi, des groupes de travail ont été constitués pour créer les normes technologiques et fonctionnelles du RTP et des consultations sont menées régulièrement afin que les travaux soient en phase avec les réalités opérationnelles de l’écosystème européen des paiements. Globalement, l’EPC envisage que le RTP doit être considéré comme partie intégrante de l’expérience utilisateur de paiement. En tant que solution de messagerie (et non nouveau moyen de paiement), l’EPC envisage le RTP comme une couche intermédiaire offrant une nouvelle façon de demander une initiation de paiement et donc, à terme, un facilitateur de paiements digitaux.
3. Les cartes et les virements bancaires sont les moyens de paiement les plus utilisés en Europe. Dans une région où les habitudes semblent bien ancrées, quels use cases privilégier sur le terrain ?
Parmi les use cases potentiels identifiés sur le sujet du RTP figure notamment un point qui converge dans la plupart des pays européens à savoir le segment du BtoB. Ainsi, de nombreux pays sont confrontés à des législations nationales sur la dématérialisation des factures et le RTP s’inscrit tout-à-fait dans cette démarche. Cela s’ajoute à une réalité commune à beaucoup de pays européens : le fait que les entreprises soient encore confrontées à une marge de progression non négligeable en termes d’équipement en moyens de paiement électronique. Enfin, l’autre raison est la situation que j’ai pointée un peu plus tôt, à savoir le fait que le RTP pourrait constituer un apport en termes d’efficience en apportant plus d’automatisation et en réduisant le risque d’erreur grâce au pré-référencement.
Autre use case identifié : le BtoC et CtoB, considéré dans certains Etats européens comme l’élément réellement porteur pour l’adoption du RTP. C’est notamment le cas au Royaume-Uni ou encore au Luxembourg, où les experts estiment que le potentiel du RTP réside surtout dans le segment des particuliers. Plusieurs éléments expliquent ce positionnement. D’une part, la croissance du e et m-commerce et plus généralement l’évolution des paiements en magasin notamment dans le contexte post-Covid favorisant l’appétence à l’égard de ce type de solution. D’autre part, le contexte de récession économique qui complexifie le règlement des factures et peut faire émerger certains besoins du côté des consommateurs, sujet qui a notamment été observé au Royaume-Uni. En offrant de nouvelles possibilités de paiement, comme le couplage RTP / facilité de paiement évoqué plus tôt, le RTP pourrait contribuer à répondre à ce besoin. N’oublions pas également le cas de l’évolution des paiements à l’attention de certains segments comme les professions libérales, ainsi que la possibilité de créer une alternative au prélèvement dans les pays faiblement appétents à ce type d’instrument, sujet que nous aurons l’occasion d’aborder un peu plus tard.
Last but not least, le GtoC (Government to Consumer) et CtoG (Consumer to Government) constituent également un vecteur porteur pour le RTP, et ce aussi bien en encaissement (paiement des amendes, règlement des impôts…) qu’en décaissement (versement des allocations…).
4. Si le RTP permet de (re)créer un lien direct entre clients et fournisseurs, de faciliter la comptabilité, de limiter les risques d’impayés et de litiges – et ce, sans aucune commission ni limite de plafond – il soulève toutefois la question de la sécurité des données. Comment la garantir ?
En tant que scheme SEPA, le RTP répond bien évidemment aux normes prévues par la législation européenne en matière de sécurité. Cela inclut notamment le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) sur le sujet des données. Mais ce n’est pas tout. Comme évoqué plus tôt, c’est l’EPC qui définit les normes technologiques et fonctionnelles du RTP. Cette instance a également nommé un “homologation body” qui est chargé de s’assurer que les solutions développées sont bien conformes aux règles définies dans le rulebook. Enfin, il convient de rappeler que le RTP est une solution de messagerie (et non un moyen de paiement) et qu’il doit donc être couplé à un instrument – comme un virement par exemple -, lequel répond à des règles sécuritaires établies.
5. Pensez que le RTP puisse, un jour, remplacer les systèmes de prélèvement SEPA ?
L’histoire des moyens de paiement nous montre bien qu’il est très difficile de remplacer un instrument par un autre. Le cas de la France avec l’utilisation du chèque qui, certes, décline, mais reste présent alors même que des alternatives existent, en témoigne. Néanmoins, il est clair que le RTP pourrait constituer une alternative intéressante dans les pays européens faiblement appétents au prélèvement.
L’un des exemples phares n’est autre que le Portugal où, selon certains professionnels du pays, seuls 50 à 60 % des paiements à l’attention des grands facturiers, comme les fournisseurs d’énergie, sont couverts par le prélèvement, cet instrument étant perçu comme “subi” par le consommateur. Le RTP, couplé par exemple à un virement instantané, pourrait ici s’inscrire comme une alternative viable puisque digitalisée et à la main du porteur. Mais il convient de nuancer que le cas observé ici n’est pas généralisé à toute l’Europe et que dans certains Etats, comme en France et au Royaume-Uni, les consommateurs apprécient la fluidité du prélèvement qui est un paiement programmé dont ni payeur ni payé n’ont à se soucier.
Le RTP répondra donc à des cas d’usage spécifiques au sein de certains Etats européens et nous évoluerons probablement vers une cohabitation entre différents moyens de paiement.
6. Quels sont, selon vous, les enjeux majeurs du RTP dans les années à venir – aussi bien sur le plan technologique que fonctionnel ?
La finalisation des travaux de l’EPC sur le RTP et l’adoption du scheme SEPA RTP par les acteurs du paiement constituent, à mon sens, des points centraux. Ainsi, même si des solutions s’apparentant à du RTP existent, à des échelles nationales, au sein de certains Etats européens sous la forme de pay by link, c’est bel et bien la standardisation européenne qui sera porteuse pour cette innovation car gage de volume et d’adoption par des retailers et entreprises opérant dans plusieurs Etats membres.
A cela s’ajoute un autre sujet, qui est celui du modèle économique à définir pour assurer la rentabilité de l’innovation et un coût équitable pour tous les maillons de la chaîne.
Enfin, n’oublions pas l’enjeu de l’information et la pédagogie qui sont essentielles pour garantir l’adoption de cette innovation par les utilisateurs finaux, qu’ils soient particuliers ou entreprises.
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Retrouvez l’intégralité de l’étude “Request-to-Pay : enjeux et perspectives pour l’Europe des paiements” par ici.